Les femmes coréennes – Entre traditions, rêves modernes et le choix du refus de la maternité

Intro­duc­tion : Une généra­tion face à la muta­tion de la société coréenne
La Corée du Sud, longtemps sym­bole d’une société patri­ar­cale et hiérar­chisée, con­naît une révo­lu­tion silen­cieuse portée par ses jeunes femmes. Entre l’héritage du con­fu­cian­isme, la pres­sion famil­iale et l’essor d’une moder­nité mon­di­al­isée, les Coréennes réin­ven­tent leur rap­port à la famille, à l’amour et à la mater­nité. Ce dossier plonge au cœur de leurs vies, de leurs aspi­ra­tions et des défis qu’elles relèvent, dans un pays où le taux de natal­ité est désor­mais le plus bas du monde et où le refus d’avoir des enfants devient un acte de plus en plus assumé.

I. Héritages et pres­sions : la famille coréenne en ques­tion

La famille, pili­er de la société coréenne
La société sud-coréenne s’est longtemps con­stru­ite autour de la famille, cel­lule de base struc­turée par des valeurs con­fucéennes : respect des aînés, devoir fil­ial, hiérar­chie stricte, impor­tance du mariage et de la descen­dance. Les femmes, garantes de l’harmonie domes­tique, étaient atten­dues dans des rôles de mères, d’épouses et de belles-filles dévouées. L’éducation des enfants, la ges­tion du foy­er et le main­tien des tra­di­tions incom­baient à la fig­ure mater­nelle, sou­vent au prix de sac­ri­fices per­son­nels.

Des attentes tou­jours fortes, mais de plus en plus con­testées
Aujourd’hui, la pres­sion famil­iale reste puis­sante. Les par­ents atten­dent de leurs filles qu’elles réus­sis­sent sco­laire­ment, trou­vent un “bon” mari et per­pétuent la lignée. Les repas de famille, les fêtes tra­di­tion­nelles comme Chuseok ou Seol­lal, sont autant de moments où les jeunes femmes sont ques­tion­nées sur leur sit­u­a­tion amoureuse ou mat­ri­mo­ni­ale. Pour­tant, une par­tie crois­sante de la jeunesse fémi­nine revendique le droit de retarder, voire de refuser, ces étapes autre­fois incon­tourn­ables.

II. L’amour en Corée : entre idéal­i­sa­tion et réal­ités con­tem­po­raines

Le roman­tisme coréen, entre K‑dramas et vie réelle
La cul­ture pop­u­laire coréenne, portée par les dra­mas, la K‑pop et le ciné­ma, véhicule un idéal d’amour pas­sion­né, sincère, sou­vent con­trar­ié par les con­ven­tions sociales. Les jeunes Coréennes gran­dis­sent avec ces mod­èles roman­tiques, mais la réal­ité est sou­vent plus nuancée. La com­péti­tion sociale, l’importance du statut, la réus­site pro­fes­sion­nelle et la pré­car­ité de l’emploi ren­dent les rela­tions amoureuses plus com­plex­es.

Les nou­veaux codes de la ren­con­tre
Les appli­ca­tions de ren­con­tre, les “blind dates” organ­isés par les amis ou la famille, et les réseaux soci­aux trans­for­ment la manière de se ren­con­tr­er. Mais la pres­sion à “bien choisir” reste forte. Beau­coup de femmes cherchent un parte­naire qui puisse offrir sécu­rité, sta­bil­ité et partage des tâch­es, dans une société où l’égalité hommes-femmes pro­gresse lente­ment.

La mon­tée du céli­bat et de l’indépendance
De plus en plus de jeunes Coréennes choi­sis­sent le céli­bat, tem­po­raire ou durable. Ce choix, longtemps stig­ma­tisé, devient un sym­bole d’autonomie et de réus­site per­son­nelle. Les “hon­jok” (per­son­nes qui vivent, man­gent, voy­a­gent seules) sont val­orisées dans les médias et la pub­lic­ité. Ce mou­ve­ment s’accompagne d’une redéf­i­ni­tion de l’amour : il n’est plus for­cé­ment syn­onyme de mariage ou de mater­nité, mais d’épanouissement, de respect mutuel et de lib­erté.

III. La mater­nité en crise : pourquoi de plus en plus de femmes refusent d’avoir des enfants

Un taux de natal­ité his­torique­ment bas
La Corée du Sud détient aujourd’hui le taux de fécon­dité le plus bas du monde, à 0,72 enfant par femme en 2024. Cette chute spec­tac­u­laire s’explique en grande par­tie par le refus crois­sant de la mater­nité chez les jeunes femmes. Les caus­es sont mul­ti­ples et pro­fondé­ment ancrées dans la réal­ité sociale et économique du pays.

Les raisons du refus de la mater­nité

  • Poids de la charge men­tale et des iné­gal­ités : Les femmes coréennes con­tin­u­ent d’assumer l’essentiel des tâch­es domes­tiques et éduca­tives, même lorsqu’elles tra­vail­lent à temps plein. La répar­ti­tion iné­gale des respon­s­abil­ités au sein du cou­ple décourage nom­bre d’entre elles à devenir mères.
  • Coût de la vie et édu­ca­tion : Le coût exor­bi­tant du loge­ment, de l’éducation (cours privés, sou­tien sco­laire), et l’incertitude économique ren­dent la per­spec­tive d’avoir des enfants anx­iogène.
  • Car­rière et dis­crim­i­na­tion : Les mères sont sou­vent pénal­isées dans leur car­rière : inter­rup­tions, dis­crim­i­na­tions à l’embauche, pla­fond de verre, manque de sou­tien des entre­pris­es. Beau­coup de femmes préfèrent inve­stir dans leur développe­ment pro­fes­sion­nel.
  • Recherche de lib­erté et d’épanouissement per­son­nel : Les jeunes généra­tions val­orisent le temps pour soi, les voy­ages, les loisirs, la san­té men­tale. La mater­nité est perçue comme un frein à l’autonomie et à la réal­i­sa­tion de soi.
  • Absence de mod­èles posi­tifs : Les femmes voient autour d’elles des mères épuisées, isolées, peu soutenues par leur con­joint ou la société. Ce con­stat nour­rit la réti­cence à s’engager dans la parental­ité.

Le phénomène des “No Kids Zones”
Dans les grandes villes, les “No Kids Zones” (cafés, restau­rants, espaces de loisirs inter­dits aux enfants) se mul­ti­plient, reflet d’une société où le choix de ne pas avoir d’enfant est de plus en plus accep­té, voire revendiqué. Ce phénomène sus­cite le débat, mais traduit une aspi­ra­tion à préserv­er des espaces de lib­erté et de tran­quil­lité.

IV. Les rêves et les aspi­ra­tions des jeunes femmes coréennes

L’indépendance finan­cière et pro­fes­sion­nelle
La nou­velle généra­tion de Coréennes investit mas­sive­ment dans l’éducation, la car­rière et l’entrepreneuriat. Les femmes sont désor­mais majori­taires à l’université et occu­pent des postes de plus en plus qual­i­fiés, même si les écarts de salaire per­sis­tent. Beau­coup rêvent de réus­site pro­fes­sion­nelle, de voy­ages à l’étranger, d’expériences var­iées.

Le bien-être, la san­té men­tale et la quête de sens
La san­té men­tale, longtemps taboue, devient une pri­or­ité. Les jeunes femmes cherchent à préserv­er leur équili­bre, à s’épanouir dans des activ­ités artis­tiques, sportives ou com­mu­nau­taires. Elles investis­sent dans le développe­ment per­son­nel, la médi­ta­tion, la psy­cholo­gie, et s’engagent dans des caus­es sociales ou envi­ron­nemen­tales.

Le fémin­isme et l’engagement citoyen
Le mou­ve­ment fémin­iste coréen, longtemps dis­cret, gagne en vis­i­bil­ité. Les jeunes femmes dénon­cent le sex­isme, les vio­lences, les iné­gal­ités et récla­ment des réformes. Les mobil­i­sa­tions con­tre le har­cèle­ment, pour l’égalité salar­i­ale ou la recon­nais­sance des droits LGBT+ témoignent d’une société en pleine muta­tion. Les réseaux soci­aux jouent un rôle clé pour partager les expéri­ences, s’informer et s’organiser.

La diver­sité des mod­èles de vie
La jeunesse coréenne refuse désor­mais les mod­èles uniques. Cer­taines choi­sis­sent le cou­ple sans mariage, la cohab­i­ta­tion, la vie en solo, ou la famille “choisie” entre amis. La mater­nité n’est plus une oblig­a­tion, mais une option par­mi d’autres. Ce plu­ral­isme est source de ten­sions avec les généra­tions plus âgées, mais il s’impose peu à peu dans les men­tal­ités.

V. Témoignages : paroles de femmes coréennes

« Ma mère me répète que je dois me mari­er et avoir un enfant avant 30 ans. Mais je veux d’abord voy­ager, réus­sir dans mon méti­er, et trou­ver un parte­naire qui partage mes valeurs. »
— Ji-Yeon, 27 ans, design­er à Séoul

« J’ai vu ma sœur sac­ri­fi­er sa car­rière pour ses enfants. Je ne veux pas renon­cer à mes rêves. Peut-être que je chang­erai d’avis, mais aujourd’hui, je préfère inve­stir en moi. »
— Hye-Rin, 31 ans, avo­cate

« J’ai choisi de ne pas avoir d’enfants. Cela choque encore beau­coup de monde, mais je suis plus heureuse ain­si. Je peux con­sacr­er du temps à mes pas­sions et à mes amis. »
— Soo-Min, 35 ans, entre­pre­neuse

VI. Les défis à venir pour la société coréenne

Une société à la croisée des chemins
Le choix crois­sant des femmes de retarder ou de refuser la mater­nité pose un défi démo­graphique majeur à la Corée du Sud : vieil­lisse­ment accéléré, pénurie de main‑d’œuvre, pres­sion sur les sys­tèmes de retraite. Le gou­verne­ment tente d’encourager la natal­ité par des aides finan­cières, des con­gés parentaux, des poli­tiques de sou­tien, mais sans suc­cès notable à ce jour.

Vers une redéf­i­ni­tion des rôles et des poli­tiques publiques
Pour répon­dre à ces muta­tions, la société coréenne doit repenser la place des femmes, la répar­ti­tion des tâch­es, le sou­tien à la parental­ité et l’égalité pro­fes­sion­nelle. Les entre­pris­es, les écoles, les médias sont appelés à pro­mou­voir de nou­veaux mod­èles, plus inclusifs et respectueux des choix indi­vidu­els.

Con­clu­sion : Les femmes coréennes, actri­ces du change­ment
Les jeunes femmes coréennes incar­nent la tran­si­tion d’une société encore mar­quée par la tra­di­tion vers une moder­nité assumée et plurielle. Leurs choix, leurs rêves et leurs refus dessi­nent les con­tours d’une nou­velle Corée, où l’amour, la famille et la mater­nité ne sont plus des devoirs, mais des options à choisir libre­ment. Si le chemin reste semé d’obstacles, leur déter­mi­na­tion à s’inventer un avenir sur-mesure inspire une généra­tion entière, en Corée et au-delà.

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