“Mes cheveux racontent mon histoire, ma culture, mes joies et mes peines.” C’est par ces mots qu’Aïssata, 32 ans, originaire de Bamako au Mali, commence son récit. À travers son témoignage poignant et inspirant, cette jeune femme nous invite à découvrir comment sa relation avec sa chevelure a façonné son identité, son rapport au monde et son parcours vers l’acceptation de soi. Un voyage capillaire qui résonne avec l’expérience de millions de femmes africaines et afro-descendantes, pour qui les cheveux sont bien plus qu’une simple question d’esthétique.
L’enfance et les premiers souvenirs capillaires
Les premiers souvenirs d’Aïssata sont intimement liés aux rituels capillaires. “Chaque dimanche, ma mère me coiffait dans la cour de notre maison à Bamako. C’était un moment sacré, de transmission et d’intimité. Elle me racontait des histoires, me donnait des conseils, tout en tressant mes cheveux avec une dextérité incroyable.” Ces séances de coiffure étaient aussi l’occasion d’apprendre les traditions, de renforcer les liens familiaux et de s’initier aux codes de beauté maliens.
La découverte du rejet et des préjugés
À l’âge de 12 ans, Aïssata quitte le Mali pour rejoindre sa tante en France. C’est là qu’elle découvre, pour la première fois, que ses cheveux peuvent être source de moqueries et de discrimination. “À l’école, certains élèves se moquaient de mes tresses, les appelaient des ‘antennes’ ou des ‘serpents’. D’autres voulaient toucher mes cheveux comme si j’étais une curiosité de foire.” Cette période douloureuse marque le début d’une relation complexe avec sa chevelure, entre fierté culturelle et désir d’intégration.
La tentation du défrisage
Comme beaucoup de femmes noires, Aïssata succombe à la pression sociale et opte pour le défrisage à l’adolescence. “Je croyais que des cheveux lisses me rendraient plus belle, plus acceptable, plus ‘normale’. Pendant des années, j’ai subi les brûlures chimiques, les chutes de cheveux, la perte de mes boucles naturelles.” Cette transformation capillaire s’accompagne d’un sentiment de trahison envers ses origines, mais aussi d’une forme de soulagement face au regard des autres, désormais moins scrutateur.
Le retour aux sources et la découverte du “nappy”
C’est à 25 ans, après une grave brûlure au cuir chevelu due à un défrisage trop agressif, qu’Aïssata décide de revenir à ses cheveux naturels. “J’ai tout coupé, un ‘big chop’ radical. Au début, j’étais terrifiée. Qui étais-je avec ces cheveux courts et crépus ? Comment allait-on me percevoir ?” Cette période de transition est difficile, mais aussi libératrice. Elle découvre le mouvement “nappy” (natural and happy) et les communautés en ligne qui célèbrent les cheveux afro dans toute leur diversité.
La renaissance et la fierté retrouvée
Progressivement, Aïssata réapprend à aimer ses cheveux naturels, à en prendre soin et à les sublimer. “J’ai découvert des soins adaptés, des coiffures protectrices, des huiles nourrissantes. Mes cheveux sont devenus plus forts, plus beaux, plus vivants.” Cette réconciliation avec sa chevelure s’accompagne d’une transformation intérieure profonde. Elle retrouve sa confiance en elle, sa fierté culturelle et une nouvelle forme de liberté.

L’entrepreneuriat capillaire
Forte de son expérience et de ses connaissances, Aïssata décide de créer sa propre marque de soins capillaires naturels à Bamako. “Je voulais offrir aux femmes maliennes des produits adaptés à leurs cheveux, fabriqués avec des ingrédients locaux et accessibles. Je voulais aussi transmettre un message : nos cheveux sont beaux tels qu’ils sont.” Son entreprise, “Foli Kanu” (Cheveux d’Or en bambara), connaît un succès grandissant et emploie aujourd’hui une dizaine de femmes.
La transmission aux nouvelles générations
Devenue mère de deux filles, Aïssata accorde une importance particulière à la transmission d’une image positive des cheveux crépus. “Je coiffe mes filles comme ma mère me coiffait, avec les mêmes gestes, les mêmes histoires. Mais j’ajoute toujours des mots de fierté, d’amour pour leurs cheveux. Je veux qu’elles grandissent en sachant que leur beauté est légitime, que leurs racines sont précieuses.” Elle intervient également dans les écoles pour sensibiliser les jeunes filles à l’importance de l’acceptation de soi.
Les défis persistants et les espoirs
Malgré les avancées, Aïssata reconnaît que les préjugés sur les cheveux afro persistent. “Dans certains milieux professionnels, les coiffures afro sont encore perçues comme ‘non professionnelles’ ou ‘trop ethniques’. Des jeunes filles sont encore exclues d’écoles à cause de leurs tresses ou de leurs locks.” Elle milite pour une plus grande reconnaissance de la diversité capillaire et pour l’interdiction des discriminations basées sur l’apparence des cheveux.
Un message universel
Au-delà de la question capillaire, le témoignage d’Aïssata porte un message universel sur l’acceptation de soi, la résistance aux normes imposées et la célébration de la diversité. “Mes cheveux sont ma couronne, mon héritage, ma force. À travers eux, je porte l’histoire de mes ancêtres, la sagesse de ma mère, l’espoir pour mes filles.” Son récit touche des femmes de tous horizons, les encourageant à embrasser leur beauté naturelle et à résister aux injonctions esthétiques.
Conclusion : les cheveux comme symbole d’émancipation
Le parcours d’Aïssata illustre comment une réconciliation avec ses cheveux naturels peut devenir un acte politique, identitaire et libérateur. En choisissant d’assumer et de célébrer sa chevelure crépue, elle affirme sa place dans le monde, son droit à la différence et sa fierté culturelle. Ses cheveux, autrefois source de honte, sont devenus sa plus grande fierté et le symbole de son émancipation.