Les violences sexuelles au cinéma : entre justice, scandale et renaissance du 7e art

Intro­duc­tion

Le ciné­ma, longtemps perçu comme un tem­ple de la créa­tiv­ité et de la lib­erté, s’est retrou­vé au cœur d’un séisme mon­di­al avec la révéla­tion de vio­lences sex­uelles sys­témiques. L’affaire Har­vey Wein­stein, révélée en 2017, a libéré une parole longtemps étouf­fée, don­nant nais­sance au mou­ve­ment #MeToo. Depuis, les révéla­tions, procès et témoignages se mul­ti­plient, des États-Unis à la France, boulever­sant les rap­ports de pou­voir et l’image même de l’industrie. Entre quête de jus­tice, scan­dales reten­tis­sants et volon­té de réforme, le ciné­ma mon­di­al tente de se réin­ven­ter. Où en est cette révo­lu­tion sept ans après #MeToo ? Les change­ments sont-ils pro­fonds ou restent-ils cos­mé­tiques ? Ce dossier analyse l’histoire, les mécan­ismes, les résis­tances et les per­spec­tives d’un secteur en pleine mue.

I. L’affaire Wein­stein : le point de bas­cule

1. Le scan­dale qui a tout changé

En octo­bre 2017, le New York Times et le New York­er pub­lient des enquêtes acca­blantes sur Har­vey Wein­stein, pro­duc­teur tout-puis­sant d’Hollywood, accusé par des dizaines d’actrices et de col­lab­o­ra­tri­ces de har­cèle­ment, d’agressions sex­uelles et de vio­ls. Les témoignages afflu­ent : Ash­ley Judd, Rose McGowan, Gwyneth Pal­trow, Angeli­na Jolie, Léa Sey­doux, Emma de Caunes… Au total, plus de 90 femmes pren­nent la parole, brisant des décen­nies d’omerta et de com­plic­ité silen­cieuse12.

Ce scan­dale révèle l’existence d’un sys­tème où le pou­voir, la peur et le silence se con­juguent pour pro­téger les agresseurs. Wein­stein, con­damné à 23 ans de prison, devient le sym­bole d’une indus­trie malade, où le chan­tage sex­uel et la dom­i­na­tion mas­cu­line étaient mon­naie courante.

2. La mécanique du silence

Le cas Wein­stein met en lumière des pra­tiques général­isées : claus­es de con­fi­den­tial­ité, pres­sions sur les vic­times, com­plic­ité pas­sive d’un entourage au courant mais silen­cieux, voire act­if dans l’étouffement des affaires. Des sommes impor­tantes sont ver­sées pour acheter le silence, tan­dis que les vic­times craig­nent d’être black­listées ou ruinées pro­fes­sion­nelle­ment1.

II. Une onde de choc mon­di­ale : #MeToo et ses répliques

1. La libéra­tion de la parole

Le hash­tag #MeToo, lancé par la mil­i­tante Tarana Burke puis pop­u­lar­isé par Alyssa Milano, devient viral. Il per­met à des mil­liers de femmes (et d’hommes) de témoign­er de vio­lences subies dans tous les milieux, mais par­ti­c­ulière­ment dans le ciné­ma. En France, le mou­ve­ment prend de l’ampleur avec les révéla­tions d’Adèle Haenel, Judith Godrèche, et d’autres fig­ures du 7e art.

2. Les affaires français­es : entre résis­tance et prise de con­science

En France, la vague #MeToo s’est d’abord heurtée à une cul­ture du silence et à une cer­taine résis­tance du milieu. La nom­i­na­tion de Roman Polan­s­ki, accusé de vio­ls, au César du meilleur réal­isa­teur en 2020 provoque un tol­lé : Adèle Haenel quitte la salle en cri­ant « C’est la honte ! ». Judith Godrèche, plaig­nante con­tre plusieurs réal­isa­teurs, dénonce publique­ment l’« omertà » et l’écrasement de la parole des vic­times. Les témoignages s’accumulent, révélant un sys­tème où la dom­i­na­tion mas­cu­line et la pré­car­ité des actri­ces favorisent les abus.

3. Un sys­tème mis à nu

Les enquêtes et procès récents (Christophe Rug­gia, Gérard Depar­dieu, Benoît Jacquot…) mon­trent que les vio­lences sex­uelles ne sont pas des cas isolés, mais relèvent d’un sys­tème où la hiérar­chie, l’absence de con­tre-pou­voir et la pré­car­ité des débuts de car­rière ren­dent les jeunes actri­ces par­ti­c­ulière­ment vul­nérables. Les plateaux de tour­nage, longtemps sanc­tu­ar­isés, sont désor­mais scrutés : la cul­ture du viol, autre­fois invis­i­ble, devient enfin vis­i­ble et dénon­cée.

III. Jus­tice, médias et opin­ion publique : entre scan­dales et exagéra­tions

1. La jus­tice face à l’ampleur des révéla­tions

Les procès se mul­ti­plient, mais la jus­tice peine à suiv­re le rythme des révéla­tions. Les délais sont longs, les preuves dif­fi­ciles à rassem­bler, la parole des vic­times sou­vent remise en cause. En France, la pre­scrip­tion, la dif­fi­culté de prou­ver les faits anciens et la peur des repré­sailles freinent encore les plaintes. Aux États-Unis, le procès Wein­stein fait fig­ure d’exception par sa sévérité, mais d’autres affaires (Bill Cos­by, Kevin Spacey, etc.) mon­trent la dif­fi­culté à obtenir des con­damna­tions.

2. Les médias : caisse de réso­nance et tri­bunal par­al­lèle

La médi­ati­sa­tion des affaires joue un rôle clé dans la libéra­tion de la parole, mais elle peut aus­si con­duire à des dérives : procès médi­a­tiques, emballe­ments, amal­games, voire accu­sa­tions infondées. Cer­tains dénon­cent une « chas­se aux sor­cières », d’autres rap­pel­lent l’importance de la pré­somp­tion d’innocence. Le débat est vif entre néces­sité de dénon­cer et risque de stig­ma­tis­er à tort.

3. La ques­tion des « exagéra­tions »

Cer­tains acteurs du milieu, mais aus­si une par­tie du pub­lic, dénon­cent des « exagéra­tions » ou des règle­ments de comptes. Ils pointent le risque d’une sus­pi­cion général­isée, d’une auto­cen­sure créa­tive ou d’une instru­men­tal­i­sa­tion de la cause fémin­iste à des fins de notoriété ou de vengeance. Pour­tant, les enquêtes mon­trent que la majorité des accu­sa­tions sont fondées et que le phénomène des vio­lences sex­uelles était large­ment sous-estimé.

IV. Une révo­lu­tion insti­tu­tion­nelle : le ciné­ma fait sa mue

1. Nou­velles règles, nou­veaux acteurs

Face à la crise, les insti­tu­tions du ciné­ma réagis­sent. En France, le CNC (Cen­tre nation­al du ciné­ma) et les grands fes­ti­vals adoptent des chartes éthiques, imposent des référents har­cèle­ment sur les tour­nages, et con­di­tion­nent cer­taines aides publiques au respect de l’égalité et de la sécu­rité. Des for­ma­tions oblig­a­toires, des cel­lules d’écoute et des procé­dures d’alerte sont mis­es en place.

Aux États-Unis, les stu­dios revoient leurs procé­dures de cast­ing, instau­rent des « inti­ma­cy coor­di­na­tors » (coor­di­na­teurs d’intimité) sur les tour­nages, et sanc­tion­nent plus rapi­de­ment les com­porte­ments prob­lé­ma­tiques7.

2. L’institutionnalisation de la cause des femmes

Le mou­ve­ment #MeToo a per­mis une insti­tu­tion­nal­i­sa­tion de la lutte con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles dans le ciné­ma :

  • Les asso­ci­a­tions pro­fes­sion­nelles (Col­lec­tif 50/50, Women in Film, etc.) jouent un rôle moteur dans la pro­mo­tion de la par­ité, de la diver­sité et de la préven­tion des abus6.
  • Les syn­di­cats d’acteurs et de tech­ni­ciens exi­gent des con­di­tions de tra­vail plus sûres et équita­bles.
  • La ques­tion de la représen­ta­tion des femmes der­rière la caméra (réal­isatri­ces, pro­duc­tri­ces, scé­nar­istes) devient cen­trale, avec des objec­tifs chiffrés pour attein­dre la par­ité.

3. Un change­ment de men­tal­ités

La prise de con­science touche aus­si le con­tenu des films :

V. Les résis­tances, les lim­ites et les nou­veaux défis

1. Les résis­tances du milieu

Mal­gré les avancées, des résis­tances sub­sis­tent :

  • Cer­tains regret­tent une « bien-pen­sance » ou une « cen­sure » qui lim­it­erait la lib­erté artis­tique.
  • Des fig­ures accusées con­tin­u­ent d’être soutenues ou hon­orées (Polan­s­ki, Depar­dieu…), révélant la per­sis­tance de l’omertà et d’une cul­ture de l’excuse.
  • La pré­car­ité des actri­ces débu­tantes, la dom­i­na­tion mas­cu­line dans les postes à respon­s­abil­ité et la peur de per­dre son emploi freinent encore la libéra­tion de la parole.

2. Les lim­ites des réformes

  • Les dis­posi­tifs mis en place restent par­fois sym­bol­iques ou insuff­isam­ment appliqués.
  • Les iné­gal­ités de genre et les vio­lences per­sis­tent, notam­ment hors des pro­jecteurs et dans les pro­duc­tions moins médi­atisées.
  • L’internationalisation du ciné­ma pose la ques­tion de l’application des normes dans des con­textes juridiques et cul­turels très dif­férents.

3. Les nou­veaux défis : inter­sec­tion­nal­ité, diver­sité et inclu­sion

  • La lutte con­tre les vio­lences sex­uelles doit s’élargir à la ques­tion des dis­crim­i­na­tions raciales, LGBT+, sociales.
  • L’inclusion de toutes les femmes, y com­pris les tech­ni­ci­ennes, les femmes racisées ou issues de milieux pop­u­laires, reste un défi.
  • La vig­i­lance doit être con­stante pour éviter les retours en arrière ou les effets d’annonce sans suite.

VI. Vers un nou­veau ciné­ma ? Per­spec­tives et enjeux

1. Un ciné­ma plus juste et plus divers

Sept ans après #MeToo, le ciné­ma mon­di­al con­naît une trans­for­ma­tion pro­fonde :

  • Plus de femmes réal­isatri­ces, pro­duc­tri­ces, scé­nar­istes, tech­ni­ci­ennes.
  • Des his­toires plus var­iées, des per­son­nages féminins plus rich­es et plus nuancés.
  • Une vig­i­lance accrue sur les tour­nages, une sol­i­dar­ité plus forte entre pro­fes­sion­nelles.

2. Une révo­lu­tion inachevée

  • Le chemin reste long : seuls 25 % des films réal­isés en France en 2020 l’ont été par des femmes8.
  • Les écarts de salaires, la sous-représen­ta­tion dans les grands fes­ti­vals et la pré­car­ité des car­rières féminines per­sis­tent.
  • Les affaires récentes mon­trent que la lutte con­tre les vio­lences sex­uelles est un com­bat de longue haleine, qui néces­site des moyens, du courage et une volon­té poli­tique con­stante910.

3. Un enjeu mon­di­al

  • La vague #MeToo a touché le monde entier, mais les répons­es vari­ent selon les pays : cer­tains pro­gressent, d’autres résis­tent ou répri­ment la parole des vic­times.
  • Le ciné­ma, par sa capac­ité à façon­ner l’imaginaire col­lec­tif, a un rôle clé à jouer dans la trans­for­ma­tion des men­tal­ités.

Con­clu­sion

Le ciné­ma mon­di­al, sec­oué par les scan­dales de vio­lences sex­uelles, vit une petite révo­lu­tion. Entre jus­tice, scan­dale et quête de renou­veau, l’industrie tente de se réin­ven­ter, portée par la parole des vic­times, la mobil­i­sa­tion des insti­tu­tions et la pres­sion de l’opinion publique. Si le chemin vers l’égalité et la sécu­rité est encore long, les pro­grès sont réels et la vig­i­lance doit rester de mise. Le sep­tième art, miroir de la société, a amor­cé sa mue : il appar­tient à toutes et tous de veiller à ce qu’elle ne soit pas qu’un sim­ple effet de mode, mais une trans­for­ma­tion durable et pro­fonde.

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