Dans ce dossier, nous explorons l’évolution des idéaux de beauté féminine et l’industrie du mannequinat à travers différentes périodes historiques. Après avoir abordé les époques “Avant 1960 : Belles et rêveuses” et “1960–1980 : Sexe and Love”, nous nous penchons aujourd’hui sur la période des supermodels, de 1980 aux années 2000.
Partie 3 : 1980–2000 — La femme sublimée : l’ère des supermodels
1. L’ascension fulgurante des supermodels
L’ère des supermodels débute au milieu des années 1980, marquant un tournant dans l’industrie de la mode. Le “Trinity”, composé de Linda Evangelista, Christy Turlington et Naomi Campbell, émerge sous l’œil avisé du photographe Steven Meisel. Ces trois mannequins redéfinissent les standards de beauté et de succès dans le monde du mannequinat.
Rapidement, le trio s’élargit pour former le “Big Six”, incluant Cindy Crawford, Claudia Schiffer et Tatjana Patitz. Ces femmes ne sont plus de simples modèles, mais deviennent de véritables icônes culturelles. Leur influence s’étend bien au-delà des podiums, touchant tous les aspects de la culture populaire.
Les supermodels apparaissent dans des campagnes publicitaires à gros budget, font la une des magazines les plus prestigieux et deviennent les égéries de grandes marques de luxe. Leur présence est si dominante qu’elles éclipsent souvent les créateurs de mode eux-mêmes.
Cette période voit aussi l’émergence de mannequins masculins célèbres, comme Marcus Schenkenberg et Mark Wahlberg, bien que leur statut n’atteigne jamais celui de leurs homologues féminines.

L’impact des supermodels sur la société est considérable. Elles incarnent un idéal de beauté à la fois glamour et accessible, inspirant des millions de femmes à travers le monde. Leur style de vie jet-set, leurs relations amoureuses médiatisées et leurs apparitions dans des clips musicaux et des films contribuent à créer une véritable mythologie autour de leur personnage.
Cette ascension fulgurante marque le début d’une nouvelle ère où les mannequins deviennent des célébrités à part entière, ouvrant la voie à une transformation profonde de l’industrie de la mode et de la perception de la beauté féminine.
2. Des icônes millionnaires
L’ère des supermodels transforme radicalement l’aspect économique du mannequinat. Ces femmes ne sont plus de simples visages pour les créateurs, mais de véritables marques à elles seules, capables de négocier des contrats sans précédent.
Linda Evangelista marque les esprits avec sa célèbre déclaration : “Je ne sors pas du lit pour moins de 10 000 $ par jour”. Cette phrase symbolise le nouveau pouvoir économique des supermodels. Claudia Schiffer, quant à elle, demande jusqu’à 50 000 $ par jour de travail, un montant inimaginable pour les mannequins des décennies précédentes.
Les supermodels diversifient leurs activités, transformant leur notoriété en véritables empires commerciaux. Elles lancent leurs propres lignes de produits, allant des cosmétiques aux vêtements, en passant par les parfums. Cindy Crawford, par exemple, développe une gamme de produits de beauté à succès, tandis que Naomi Campbell s’aventure dans la musique et l’édition.

Leurs revenus atteignent des sommets vertigineux. En 1995, Claudia Schiffer est classée par Forbes comme le mannequin le mieux payé au monde, avec des revenus annuels estimés à 12 millions de dollars. Ces chiffres sont d’autant plus impressionnants qu’ils dépassent souvent ceux des actrices et chanteuses de l’époque.
Cette réussite financière s’accompagne d’une influence grandissante dans l’industrie de la mode. Les supermodels peuvent désormais choisir leurs contrats, influencer les collections des créateurs et même lancer leurs propres tendances.
Leur succès économique a un impact durable sur l’industrie du mannequinat, ouvrant la voie à une nouvelle génération de mannequins-entrepreneurs. Il redéfinit également les relations de pouvoir au sein de l’industrie de la mode, donnant aux mannequins une voix et une influence qu’elles n’avaient jamais eues auparavant.
3. Des révélations et des icônes
L’ère des supermodels voit l’émergence de figures emblématiques qui redéfinissent les standards de beauté et brisent les barrières de l’industrie de la mode.
Kate Moss apparaît comme une révélation, incarnant un nouveau type de beauté plus androgyne et grunge. Son physique mince et son allure naturelle contrastent avec l’image glamour et athlétique des supermodels précédents. Découverte à l’âge de 14 ans à l’aéroport JFK, Kate Moss devient rapidement l’icône du mouvement “heroin chic”, suscitant à la fois l’admiration et la controverse. Sa collaboration avec Calvin Klein en 1993 marque un tournant dans l’esthétique de la mode des années 90.
Naomi Campbell s’impose comme une icône incontournable, brisant les barrières raciales dans une industrie longtemps dominée par les mannequins blancs. Première femme noire à faire la couverture du Vogue français en 1988, elle devient un symbole de diversité et de fierté pour de nombreuses femmes de couleur. Son charisme, sa démarche distinctive et son engagement contre le racisme dans la mode en font une figure emblématique de cette époque.
D’autres mannequins marquent également cette période par leur singularité. Christy Turlington se distingue par son élégance classique et son engagement humanitaire. Linda Evangelista, connue pour sa capacité à se métamorphoser, incarne la versatilité de la beauté moderne.

Ces icônes ne se contentent pas de défiler sur les podiums. Elles apparaissent dans des clips musicaux, comme le “Freedom! ‘90” de George Michael, qui met en scène plusieurs supermodels. Elles font la une des magazines, non seulement pour leur beauté, mais aussi pour leurs opinions et leur style de vie.
Leur influence dépasse largement le cadre de la mode, redéfinissant les standards de beauté et ouvrant la voie à une plus grande diversité dans la représentation féminine dans les médias.
4. Le déclin et l’héritage
Vers la fin des années 1990, l’ère des supermodels commence à décliner. Plusieurs facteurs contribuent à ce changement dans l’industrie de la mode.
Les actrices et les chanteuses commencent à prendre le dessus dans les magazines et les campagnes publicitaires. Des stars comme Julia Roberts ou Gwyneth Paltrow apparaissent en couverture des magazines de mode, offrant une nouvelle forme de célébrité plus polyvalente. Les marques de luxe se tournent vers ces célébrités pour représenter leurs produits, estimant qu’elles ont un attrait plus large auprès du public.
L’industrie de la mode elle-même évolue. Les créateurs cherchent des visages nouveaux et moins connus pour leurs défilés, préférant que l’attention se porte sur leurs vêtements plutôt que sur les mannequins. Le concept de “mannequin anonyme” gagne en popularité.

Cependant, l’héritage des supermodels reste indéniable. Elles ont transformé le rôle du mannequin dans la société, passant du statut de simple “porte-manteau” à celui de célébrité influente et d’entrepreneuse. Leur impact sur la culture populaire perdure, influençant la façon dont la beauté et le succès sont perçus.
Les supermodels ont également ouvert la voie à une nouvelle génération de mannequins. Des femmes comme Gisele Bündchen, qui émerge à la fin des années 90, héritent de leur influence tout en apportant leur propre style.
L’ère des supermodels a également contribué à une plus grande diversité dans l’industrie de la mode. Le succès de Naomi Campbell a ouvert des portes pour d’autres mannequins de couleur, bien que des progrès restent à faire dans ce domaine.
Enfin, leur influence se fait encore sentir dans la façon dont les mannequins gèrent leur carrière, beaucoup adoptant l’approche entrepreneuriale initiée par les supermodels des années 80 et 90.
Conclusion et perspectives
L’ère des supermodels des années 1980–2000 a profondément transformé l’industrie de la mode et redéfini les standards de beauté féminine. Ces femmes ont transcendé leur rôle de mannequins pour devenir de véritables icônes culturelles, influençant la société bien au-delà du domaine de la mode.
Leur héritage continue de façonner l’industrie du mannequinat aujourd’hui. Les modèles actuels, inspirés par leurs prédécesseurs, combinent carrière sur les podiums avec entrepreneuriat et activisme social. La diversité et l’inclusivité, des enjeux mis en lumière par les supermodels de couleur comme Naomi Campbell, sont désormais au cœur des préoccupations de l’industrie.

Dans notre prochaine et dernière partie, “2000 à aujourd’hui : Belles, fortes et déterminées”, nous explorerons comment les mannequins contemporains comme Gisele Bündchen, Adriana Lima, Kendall Jenner, Gigi et Bella Hadid poursuivent cette évolution. Nous verrons comment elles utilisent leur influence pour promouvoir des causes importantes telles que la durabilité environnementale, la santé mentale et l’égalité des genres.
Nous examinerons également l’impact des réseaux sociaux sur l’industrie du mannequinat, créant de nouvelles opportunités mais aussi de nouveaux défis. L’émergence des “influenceurs” et des mannequins virtuels sera abordée, questionnant les notions traditionnelles de beauté et de célébrité.
Enfin, nous nous pencherons sur les mouvements #MeToo et Body Positivity, qui ont secoué l’industrie de la mode, poussant à une plus grande transparence et à une redéfinition des standards de beauté.
Cette dernière partie nous permettra de comprendre comment l’héritage des supermodels continue d’influencer et de se transformer dans le paysage en constante évolution de la mode et de la beauté du 21ème siècle.